Etre mère change tout lorsqu’il s’agit de redéfinir son identité professionnelle : la perception de soi, le regard que l’on croit qu’on nous renvoie, et les attentes liées au sens du travail. Jane Deschamps en a fait l’expérience. Accompagnée par la coach et psychologue Kate Lindley, elle explique comment elle a réintégré le marché de l’emploi après une pause maternité dans sa carrière.
« L’identité est un phénomène éditorial sans précédent, un sujet d’étude et de remise en question permanente dans la société actuelle. Beaucoup attribuée à la transformation du monde du travail ces 20 dernières années, l’incertitude identitaire déstabilise notamment les rôles à jouer au sein de la famille[1]. Par conséquent, tiraillé entre ses identités multiples selon les rôles à remplir tant dans la sphère privée et publique, l’individu peut perdre le lien avec une partie de lui-même pour se convaincre qu’il est ce qu’on attend de lui dans tous les domaines.
J’appartenais à cette catégorie de « nouvelles mères au foyer », en augmentation en Suisse, qui décident, parce qu’elles peuvent se le permettre financièrement, de faire une pause dans leur carrière pour élever leurs enfants. Une étude de la Harvard Business School (2015) montre en effet que nous sommes bien plus nombreuses que nos mères à le faire. En Suisse par exemple, 29,7% de mères sont à la maison[2].
J’ai dû confronter le regard incrédule « Quoi ? Toi ? » de mon entourage qui venait bousculer ma propre perception de mon identité. Pour me prouver que j’assumais ma décision, je me suis mise à incarner le cliché de la « housewife » parfaite des années 50. Je me suis rapidement surprise à rivaliser avec les mamans bloggeuses affichant leurs photos Instagram de leurs plus jolis cupcakes d’anniversaire. De plus, je me devais d’être une déesse au lit, une reine du yoga et du ventre plat.
Toutefois, malgré les joies de la maternité, j’étais troublée par le regard des autres, le déséquilibre face à un conjoint en pleine ascension professionnelle, le vide laissé par la perte d’une identité professionnelle et, enfin, le spectre de la difficulté de retrouver un travail à la hauteur de mes compétences après une pause « aux fourneaux ».
Lorsque j’ai rencontré Kate Lindley, coach professionnelle et psychologue, je me sentais comme ce personnage de Luigi Pirandello[3] à qui son épouse fait remarquer un jour que son nez est de travers. La personne que j’avais chaque matin en face de moi dans le miroir était ni une parfaite mère au foyer, ni une femme qui s’assume, ni une professionnelle chevronnée. Comme l’homme qui ne se reconnaît plus avec son nez de travers, je ne me connaissais plus, mon identité était à reconstruire.
Je venais de me remettre à chercher du travail. Bien que bardée de diplômes, de formations continues et d’une expérience professionnelle solide de plus de 15 ans, j’avais perdu ma confiance. J’étais convaincue d’être une imposture. J’avais perdu le fil de qui j’étais pour le monde professionnel et ce qu’il était pour moi. Comment sortir de mon rôle de mère au foyer de 37 ans ? Et comment concilier mon identité de « housewife » avec celle d’une « working girl » ? Je n’étais pas la première à me poser la question et le savais. Nous sommes en Suisse entre 13’000 et 15’000 femmes par année à être dans ce cas[4].
Kate Lindley m’a permis de répondre à mes questionnements à travers sa méthodologie narrative. Elle m’a appris comment mes croyances personnelles et les mentalités collectives m’empêchaient d’aller au bout de ce que je voulais pour moi-même. Celles-ci créaient chez moi ce qu’elle appelle l’ « immunité au changement [5]» devenue impossible à gérer à un stade de la vie où j’étais désormais davantage qu’une femme.
Kate m’a permis de sortir de cet état, de trouver du travail et de m’y réaliser en définissant non pas la personne que je croyais être et que j’ai fait dominer jusqu’alors dans mon parcours, mais la personne que je voulais et pouvais être également et qui s’était tue jusqu’alors.
Concrètement, en partant du constat que mes blocages étaient liés à mon incapacité à exprimer mon opinion par peur de la critique et du rejet, Kate Lindley m’a donné pour devoir de tester cette assomption. Pensant à chaque occasion présentée « Que se passe-t-il si je m’exprime? », j’ai pu déconstruire mes croyances en testant la réaction de mon entourage lorsque je m’exprimais réellement et changeais d’attitude. Kate Lindley a également mis en valeur des comportements inhérents à ma personnalité qui ressortaient dans la spontanéité inévitable de mon quotidien avec enfant en bas âge, et qui pour moi étaient banals et sans importance. Elle en a fait des atouts que je pouvais exploiter dans mes « exercices » quotidiens de cet autre moi, dans ma recherche d’emploi et, enfin, lors de mon entrée en fonction dans un rôle de porte-parole pour une organisation.
Je suis ainsi devenue l’actrice de moi même, incarnant également cet autre moi[6]. Loin de tromper mon public, je peux lui offrir une image complète de moi. Aujourd’hui, je ne suis pas une autre. Je ne me suis pas inventée une autre identité, je me suis redéfinie dans une dualité mère/femme indissociable, acceptant et embrassant le fait que l’une ne se suffira jamais sans l’autre. »
[1] La crise des identités, Claude Dubar
[2] Pourcentage concernant les mères en couple avec enfants âgés entre 0 et 6 ans (source : Office fédéral de la statistique)
[3] Un, personne et cent mille, Luigi Pirandello
[4] Source : Office fédéral de la statistique
[5] Immunity to Change, Robert Kegan
[6] En référence à La présentation de soi, Goffmann