Dans cet article, j’aimerais vous soumettre des idées et les théories sur la culpabilité et de celle qu’on appelle « la culpabilité des mères ». Mon but est de vous aider à vous en défaire le plus que possible de cette culpabilité.
Lorsque j’ai entrepris des entretiens avec des mères ayant des enfants diagnostiqué avec le TDH pendant l’été 2010, une des mères m’a dit, « Je suis contente que quelqu’un se penche sur la culpabilité des mères, et je trouve que c’est très soutenant comme démarche. » (Lindley Scheidegger, 2015). Je sais que nous pouvons souvent faire des blagues sur la culpabilité des mères, il suffit de taper les trois mots dans un moteur de recherche sur votre ordinateur pour trouver des extraits de bandes dessinées et on comprend comment c’est répandu comme notion. Mais blague à part, qu’en est-il de cette culpabilité ?
Dans le numéro 53 de Cerveau & Psycho (septembre-octobre 2012), dans un article écrit par Laurent Bègue, professeur de psychologie sociale à l’Université de Grenoble, on lit que la culpabilité est une émotion socialement utile. Cette émotion qui est visible à partir de deux ou trois ans dans la vie d’une personne est appelée « autoconsciente » car elle est possible lorsque nous avons un sens de notre individualité. La culpabilité est supposée être le sentiment d’avoir commis un tort. Elle nous pousse à réparer le tort que nous avons créé, et c’est pour ça qu’elle est socialement utile. Donc si on fait une faute, une erreur, même de manière non-intentionnelle, et qu’on a créé un tort auprès de quelqu’un, le sentiment de culpabilité nous dira que nous en excuser et de le réparer. Créer un sens de culpabilité est ce que nos parents et notre entourage nous aide à faire dès notre enfance. On nous dit, de ne pas faire certaines choses, et ensuite de nous gronder lorsque l’on fait, et nous dire de nous en excuser. Ce sont les stratégies de l’éducation utilisées par les parents, écrit Prof Bégue, pour apprendre aux enfants un sens moral. Ailleurs, il écrit, « La culpabilité se manifeste quand une norme morale a été transgressée. »
Alors, je vous demande, si vous n’êtes pas encore en train de vous vous poser la question vous-même, quelle norme morale avons-nous les mères transgressée ? Quelles sont les actes que nous avons commis qui sont appelés, par certains, des fautes ou des erreurs ? A qui faisons-nous du tort ?
Par mon expérience, il est très difficile de faire en sorte que les personnes qui critiquent les mères dressent une liste de toutes les bonnes pratiques d’être mère. Pourtant j’en demande que finalement on ait une liste définitive pour qu’on puisse s’y référer. Certaines mères, lorsque je leur pose la question, me répondent qu’une bonne mère est disponible jour et nuit, sept jours sur sept, pour ses enfants et souvent son mari. Alors, est-ce que ce serait la « norme morale » de la mère ? Et si on regardait les normes, véhiculés par des discours, les dires, les messages dans notre société, de plus près ?
Deborah Lupton, professeure australienne de sociologie, propose que lorsque ce genre de discours est prononcé, on se doit de poser les quatre questions suivantes :
- Qui bénéficie de cette idée ? Dans le cas présent, on peut se poser la question, qui bénéficie du fait qu’on dit que les mères sont responsables de leurs enfants jour et nuit, sept jours sur sept ? Est-ce que les mères en bénéficient ?
- Qui ne bénéficie pas de ces idées ? Qui est rendu « sans voix » par ces affirmations ? On n’ose pas dire que nous ne sommes pas d’accord souvent devant les experts qui, parait-il, savent mieux que nous.
- Qui a créé ces idées ou affirmations? Qui a créé les théories selon lesquelles on peut affirmer ces idées ? Quelles étaient les valeurs de ces personnes qui ont créé ces idées ?
- Quelles sont les différences sociales qui sont créés et maintenues par ce genre d’idées ?
Le monde de l’enfant et la mère est peuplé d’experts. Rousseau est souvent vu comme un des premiers qui a écrit sur la relation mère-enfant. Dans son livre Emile, apparu en 1762, il dresse un portrait de la bonne mère. Depuis ce temps, des milliers de livres ont été écrits sur comment il faut être une bonne mère. Il semblerait être un marché lucratif. Nous sommes parfois submergés par les injonctions, les conseils, les critiques, qui font partie de la norme morale de la bonne mère. Donc je me demande s’il y a une mère qui est capable de se dire d’être à la hauteur de cette norme.
Par moment, nous sommes toutes d’accord qu’une bonne mère devrait être à la hauteur. Cette norme nous pousse à faire toujours de plus en plus, mais elle peut également nous épuiser. Si on lit le livre de Stéphanie Allenou (Mère épuisée, 2011) on peut comprendre à quel point elle se poussait à faire que tout soit parfait, et malgré cela, elle n’en pouvait plus. Donc est-ce qu’on est coupable en tant que mère parce qu’on n’arrive pas à tout faire ?
Je reviens sur cette définition de la culpabilité, c. à d. d’avoir fait une faute ou erreur, et d’avoir créé un tort pour lequel il faudrait s’en excuser pour garder les bonnes relations sociales. Qu’est-ce que votre culpabilité de mère vous fait faire ? Vous vous excusez pour quoi ? De quoi est-ce qu’on vous accuse, si l’on vous accuse ouvertement ?
Dans mon recueil de témoignages les mères m’ont raconté qu’elles étaient souvent accusées d’avoir des enfants qui ne savent pas se tenir, qui ne savent pas ranger leurs jouets, qui ne restent pas à leur place en classe, qui ne suivent pas les leçons attentivement, qui font du bruit, qui ne font pas leurs devoirs à la maison. Ces mères ne savent plus quoi faire. Elles sont tenues responsables alors qu’elles ne sont pas présentes. Et comme dit Elisabeth Badinter, de la responsabilité à la culpabilité il n’y a qu’un petit pas.
Bibliographie :
- S. Allenou, Mére épuisée, LLL Les Liens Qui Libèrent, 2011
- E. Badinter, L’amour en plus, éd. Poche, 2001
- K. Lindley Scheidegger, Qu’Est-Ce-Que-Je-Ne-Dois-Pas-Entendre? Témoignages des mères, 2ème édition, 2015
- D. Lupton , Toward the development of critical health communication praxis in Health communication, vol. 6(1), pp. 55-67, 1993